Il est devenu courant, dans les médias, de voir dénoncés les délais d’attente aux urgences des hôpitaux et le manque chronique de médecins. À l’occasion, on évoque les difficultés que rencontrent les médecins diplômés à l’international pour obtenir leur permis d’exercice. Ni le grand public, ni même les médecins formés au Québec ne connaissent les conditions onéreuses, longues et hasardeuses pour y accéder.
Mon propos n’est pas de les expliquer ici. Il suffira de signaler que, selon la Commission des Droits de la personne (2010), en 2009, 7% des médecins qui pratiquaient au Québec avaient obtenu leur diplôme à l’extérieur du pays contre 20% en Ontario. Jusqu’en 2002, bon an mal an, moins d’une cinquantaine de médecins immigraient au Québec. Dans le contexte de la croissance du nombre d’immigrants, depuis 2007, c’est 300 nouveaux médecins qui arrivent de partout dans le monde, chaque année (source : MICC, 2011). La grande majorité aura à entreprendre une transition de carrière, parfois dès leur arrivée, d’autres après des tentatives infructueuses.
Le pharmacien de Jean Couteux
Vous postulez un emploi d’assistante de pharmacie. Avez-vous de l’expérience ?
La candidate
Bien sur! Dans mon pays j’étais médecin, je connais bien les médicaments et je peux aussi conseiller vos clients sur les effets secondaires.
Le pharmacien
Mais Madame, ça ne pas de bon sens! On manque trop de médecins ici, VOUS DEVEZ faire vos équivalences!
La candidate
…. (même chez Jean Couteux, on ne veut pas de moi…)
La transition s’inscrit dans la durée. Il y a un Avant (le malaise s’installe, de façon plus ou moins brutale, mais aussi l’espoir qui permet de faire les premiers pas), un Pendant (passer d’un état à un autre, période neutre, plus ou moins longue consacrée au qui suis-je) et un Après (se sentir à nouveau soi-même dans la nouvelle situation) (Roberge, 1998). Dans le cas des changements profonds, comme certaines transitions de carrière, ce temps peut s’échelonner sur plusieurs mois, voire des années. Selon Bridges (2006), notre société obsédée par le changement fait bien peu de cas du phénomène de la transition, qui se joue dans les profondeurs. Laissant ainsi de côté l’occasion d’une rencontre avec soi, l’occasion de se départir de vieilles conceptions devenues inutiles, l’occasion de découvrir de nouvelles potentialités, de devenir un humain plus complet.
LE DÉSENGAGEMENT se vit souvent de façon douloureuse, particulièrement pour les transitions forcées. Dans le cas des médecins : se voir refuser le permis d’exercice de la médecine au Québec, ne plus pouvoir soigner. En counseling, il est essentiel d’accompagner le client à identifier le sens de SA perte. La signification que chacun accorde à l’impossibilité d’obtenir le droit de pratiquer sa profession. Ne plus habiter son rêve de jeunesse, souvent celui des parents, la perte du sentiment de compétence, voire de toute puissance, qui consiste à redonner la santé, à sauver des vies, la perte du statut si particulier du médecin, archétype universel du guérisseur, etc..
LA DÉSIDENTIFICATION survient en perdant les repères extérieurs de l’ancienne identité professionnelle. Le lien étroit entre identité profonde et identité professionnelle occasionne de la douleur surtout quand ce sont les enfants qui expriment leur déception : « papa, tu étais médecin, chez nous, mais ici, TU ES QUI? ». Cet attachement au rôle professionnel dépend de l’investissement de chacun mais il faut bien le dire, l’entourage contribue fortement à maintenir artificiellement cette identité. « Mais ma fille, TU ES médecin, si c’est pour abandonner ta profession, tu ferais mieux de rentrer au pays ». La pression de l’entourage, surtout ceux restés au pays et qui sont dans l’impossibilité de comprendre les conditions du nouveau contexte de vie, peuvent retarder durant des années, l’amorce de la désidentification, nécessaire à la transition de carrière réussie.
LE DÉSENCHANTEMENT (ou la désillusion) constitue une autre étape qui survient, comme les précédentes, sans ordre particulier dans la phase de « finir », pour commencer la transition. Les désillusions peuvent être nombreuses : le Québec terre d’accueil, la médecine des pays riches, mes succès anticipés, une amélioration de la situation économique de ma famille, etc.. Aussi, la perte d’illusion par rapport à soi. La grande majorité des médecins ont brillé dans leurs études, ont réussi là où plusieurs échouent. L’éventualité de ne pas réussir dans ce nouveau projet peut constituer une première expérience de l’échec. Tous n’y sont pas aussi bien préparés. Cependant, une vision plus claire de l’environnement (forces et contraintes du nouveau milieu du travail) de soi (ressources et limites personnelles et familiales) est indispensable pour s’engager dans un nouveau projet.
LA DÉSORIENTATION, savoir ce que l’on quitte sans savoir ce qu’il y a devant. Pour des professionnels formés à faire des diagnostics fiables et prescrire des traitements appropriés, pour des personnes qui sont considérées comme des références dans la famille, dans le quartier ou le village, pour les immigrants audacieux qui ont su organiser le déplacement de toute une famille dans des conditions souvent dangereuses, ne pas savoir quoi faire peut être extrêmement déconcertant. L’anxiété, souvent la culpabilité, accompagnent l’état de confusion.
Le piège le plus dangereux consiste à s’embarquer trop rapidement dans un projet d’étude ou un emploi alimentaire afin de sortir au plus vite de cette zone neutre, de ce brouillard où l’on ne se reconnaît plus et où les repères ont disparu. Ces projets de désespoir (préposé aux bénéficiaires ou études de 2e cycle universitaire dans n’importe quel programme non contingenté) risquent fort de mener à encore plus de confusion, de perte d’estime et de découragement.
Le projet migratoire ne tient pas toutes ses promesses. Les enfants ont vite appris la langue, ils réussissent bien à l’école. Le sentiment de sécurité, tellement apprécié dans les premiers mois, a cédé la place à une impression d’immobilisme, de désœuvrement. Renoncer à la médecine, un jour c’est oui et le lendemain, pas question. Faut-il vraiment payer si cher?
La transition de carrière qui s’opère en même temps que l’immigration (stress d’acculturation), peut s’accompagner d’autres changements majeurs comme une naissance ou un mariage. Ces sources de stress, même choisies, même positives constituent un risque pour l’équilibre, pour la santé physique et mentale.
Dans ma pratique, depuis quatre ans maintenant, avec ces clients, je suis chaque jour bouleversée par leurs histoires personnelles, et souvent de couple, et impressionnée par leur courage. Et je ne me sens pas toujours à la hauteur. En tant que professionnelle de la relation d’aide, je vis de la tristesse et de la colère devant ces « sacrifices » pour les professionnels de la santé qui doivent renoncer à leur passion et face au gaspillage inouï que nous perpétrons comme société.
Monique St-Amand, c.o.
Ce texte est initialement parût dans l’orientation, janvier 2013
Le CREMCV offre un programme d’orientation de carrière pour les professionnels de la santé diplômés à l’international. Unique en son genre au Québec, ce programme vise à accompagner ces professionnels dans leur intégration socioprofessionnelle au Québec en les informant sur les possibilités qui se présentent à eux en matière de carrière et en les aidant à faire le pont avec leurs expériences antérieures et un nouvel objectif professionnel. Pour en savoir plus, cliquez ici.