Dans le cadre de notre première série d’entrevues avec d’anciens participants du CREMCV, nous avons eu le plaisir d’interviewer une ancienne participante du service destiné aux professionnels de la santé diplômés à l’internationale, en 2012. Pour l’occasion, celle-ci a souhaité demeurer anonyme. Bonne lecture!
Bonjour madame, pour commencer cette entrevue, j’aimerais bien que vous nous expliquiez votre parcours professionnel – dans votre pays d’origine.
J’ai obtenu mon diplôme de docteure en médecine générale en 2003, en Algérie, et j’ai immédiatement trouvé un emploi de représentante pharmaceutique. J’avais choisi de ne pas faire de spécialité en médecine et d’économiser assez d’argent, à travers cet emploi, pour pouvoir partir à l’étranger. En 2005, je suis allée en France pour faire une capacité en gérontologie et m’établir là-bas. Le processus de reconnaissance des diplômes de médecins étrangers avait été assoupli. Je devais passer un examen gratuit de vérification des connaissances en gériatrie, auquel je m’étais préparée pendant deux ans et demi. Une fois l’examen réussi, j’allais avoir le droit de travailler en tant que médecin pour 3 ans, sous supervision. Ensuite, je me verrais octroyer le même statut que les médecins français et pratiquer la médecine librement.
Malheureusement, mon mari ne pouvait recevoir de papiers pour me rejoindre. J’ai alors décidé de partir avec lui au Canada en espérant pouvoir y reprendre le processus des équivalences.
Comment avez-vous connu le CREMCV ? Pourquoi vous êtes-vous inscrite au CREMCV?
Arrivée à Montréal, en 2008, j’ai été agente administrative pour pouvoir subsister. J’ai appris le métier via des cours gratuits sur Internet. J’étais malheureuse et je me sentais inutile. Je savais que je n’étais pas prête à entamer les démarches de reconnaissance de mon diplôme, en raison de leur coût onéreux et de mon manque de disponibilité, étant jeune maman. Ma sœur m’a parlé du CREMCV. Je m’y suis inscrite en 2012 afin de trouver un emploi plus stimulant intellectuellement et relativement mieux payée.
Comment le CREMCV vous a-t-il aidée? Quels sont les éléments et les conseils qui vous ont été utiles dans votre démarche de recherche d’emploi ?
Le CREMCV a été une découverte pour moi. Au début, je ne comprenais pas trop l’objectif des ateliers, qui me semblaient abstraits. Parler de soi, identifier ses forces et valoriser ses intérêts sont des éléments qui n’avaient jamais fait partie de mon éducation ou de mon fonctionnement. Cela était inconfortable et c’était parfois décourageant, car les médecins présents étaient aussi déprimés que moi. C’était très confrontant, car j’avais saisi, au plus profond de moi-même, que c’était le début du deuil de la médecine pour passer à autre chose. Les conseillères en orientation étaient à l’écoute et nous soutenaient comme elles le pouvaient. Elles faisaient preuve d’empathie et de bienveillance.
Ce n’est qu’à la fin de la 4e semaine que j’ai pu réaliser les retombées de ce processus. Je me connaissais mieux, je savais ce que je ne voulais pas faire et j’avais identifié le domaine de l’intervention psychosociale, que j’ignorais complètement, comme possible alternative.
À aucun moment les conseillères en orientation n’ont essayé de m’influencer. Elles jouaient le rôle d’un guide qui me donnait la main pour m’aider à explorer mon for intérieur. Ce fut une expérience qui m’a fait grandir et qui a pansé, en partie, ma blessure narcissique.
À la fin du programme du CREMCV, est-ce que votre objectif d’emploi était clair?
Mon objectif d’emploi était clair à la fin des ateliers de transition de carrière au CREMCV. Je me suis orientée vers le métier d’intervenante psychosociale. J’ai trouvé un emploi de conseillère en emploi pour personnes ayant une déficience intellectuelle et/ou un trouble du spectre de l’autisme. Je tiens à préciser que le réseautage a été un élément clé, puisque c’est une amie que j’ai connue dans un ancien emploi à Montréal qui m’a aidée à décrocher cet emploi.
Vous êtes maintenant en emploi. Quel est votre titre d’emploi? Quelles sont vos tâches ?
Depuis le 6 janvier 2020, je suis coordonnatrice dans un centre de jour pour adultes présentant une déficience intellectuelle et/ou un trouble du spectre de l’autisme. Mes années d’expérience auprès de cette clientèle, dans un organisme communautaire, m’ont aidée à découvrir que j’aimais la gestion et que je possédais des compétences pour ce domaine. Je dirige ce centre au niveau des opérations et de la gestion des ressources humaines, tout en m’assurant de la supervision clinique.
Qu’est-ce qui a été une découverte pour vous par rapport à la façon d’effectuer la recherche d’emploi au Québec comparativement à votre pays d’origine ?
Comme dans mon pays et j’imagine partout ailleurs, utiliser ses connaissances pour obtenir un emploi aide beaucoup. Je recommande vivement aux nouveaux arrivants de côtoyer les gens, sans forcément être amis. Cela leur permettra de mieux comprendre la société québécoise et ses aspects culturels, ainsi que d’être aux faits des opportunités d’emploi ou de formation existantes.
Il est aussi impératif de s’inscrire à des services de recherche d’emploi pour la rédaction du CV et de la lettre de présentation ainsi que pour se préparer aux entrevues d’embauche. En effet, ce processus est très différent de ce que j’ai connu dans mon pays d’origine et en France.
Enfin, je crois qu’il faut être stratégique et se fixer des objectifs à court, moyen et long terme, afin de ne pas s’éparpiller et de garder une certaine continuité et une trajectoire logique. Les parcours atypiques dissuadent les recruteurs québécois. Plus un plan de carrière est cohérent, plus on a des chances d’évoluer professionnellement.
Pour le bénéfice de nos lecteurs, quel est le conseil le plus important que vous pourriez leur donner ?
J’ai tenté ma chance en 2018, en passant le premier examen du Conseil Médical du Canada.
Jusque là, j’avais suivi mon plan d’immigration : trouver un emploi de subsistance, avoir mes enfants et passer leur période de petite enfance, obtenir un emploi plus stimulant, puis entamer les démarches pour enfin pouvoir exercer ma profession. Le jour de l’examen, j’ai été prise de panique et j’ai perdu tous mes moyens. C’était la première fois de ma vie que j’échouais une épreuve académique. J’étais anéantie et j’ai perdu confiance en moi.
J’ai alors décidé de mettre une croix rouge sur ce projet, par crainte qu’il me détruise.
Ce fut mon expérience. Elle est unique, car chaque individu est unique. Ce que je conseille aux lecteurs, c’est de ne jamais se comparer aux autres, car ils ne sont tout simplement pas les autres. Il ne faut pas non plus se laisser entraîner par les commentaires et les recommandations de son entourage.
Restez ouverts à ce qu’on vous suggère, car certains vous aideront à y voir plus clair, mais n’oubliez jamais que vous êtes les seuls à savoir ce qui est le meilleur pour vous-mêmes.
Cependant, pour pouvoir savoir ce qui vous convient le mieux, il faut d’abord que vous vous connaissiez bien. Pour ce faire, utilisez les ressources existantes (conseiller en orientation, psychologue, tests psychométriques, etc.), restez à l’écoute de vos besoins et respectez vos limites.
J’ai cru que le fait de n’être pas arrivée à mon objectif final et d’avoir failli à la réussite de mon plan représentait un échec, autant professionnel que personnel. Mon identité en est encore meurtrie et je vis encore avec de l’amertume quand je réalise que je mourrai sans jamais pouvoir à nouveau soigner mon prochain. En parallèle, je me questionne : était-ce vraiment un bon plan pour moi ? Si le destin m’a amenée autre part, il doit y avoir une bonne raison. Il est de ma responsabilité, à présent, d’accepter la vie comme elle vient et de profiter de chaque instant, au lieu de vivre dans la nostalgie du passé et dans la peur du futur.
Assumez vos choix, n’ayez pas de regrets, faites de votre mieux et prenez soin de vous-mêmes et de ceux que vous aimez. Ainsi, vous vivrez sereins et vous mourrez en ayant soigné votre âme et celle de tous ceux que vous croiserez.
Bonne chance à tous.
Cordialement.